Un jour dans les toilettes

Pardon, vous gênez

Je marchais sur la place du capitole. J’avançais sous les arcades colorées. Je pensais à cette nuit.

Je pensais à l’étrangeté du moment.

J’avais en moi ce sentiment de vie. Le goût de la tarte aux pommes de ma grand-mère.

Paradoxalement je sentais mon corps tendu, mes seins. Ils semblaient à l’étroit dans ce soutien-gorge de dentelle noire.

Je m’arrêtais. Un homme me bouscula et fit pivoter mon corps. Je touchais mes seins. Je touchais mon ventre.

Il me fallut une seconde pour comprendre que mon ventre n’était pas simplement ballonné.

J’étais enceinte.

Respirez, ça va aller

Assise devant ce vieux médecin que je connaissais depuis des années, je fixais le vide. L’homme à la barbe peignée, frottait son menton en observant mes yeux humides.

Le silence me rassurait, son sourire m’enveloppait.

Les prochains rendez-vous médicaux seraient protocolaires. Je devais rencontrer un psy, un médecin de l’hôpital.

Mais avant tout ça une prise de sang pour confirmer mon état.

Votre taux de Bêta HCG est explicite

Trois semaines d’aménorrhée. Trois semaines qu’un embryon s’était logé dans ce corps que je pensais infertile. Stérile.

Dans ce corps qui ne pesait plus guère quelques années auparavant. Mon ventre n’était plus vide.

C’est à vous de choisir

Devant le psychiatre qui évalua ma lucidité comme on craque une allumette, je fus informée du caractère irréversible de mon choix.

Bien-sûr je croyais en la résurrection, après tout j’étais catho. Je tremblais devant ce psychiatre sans savoir si c’était la faim ou simplement l’échange qui me rendait fébrile.

C’est selon vous, mademoiselle

Le médecin que je rencontrais ensuite m’expliqua qu’il existait deux méthodes pour « Le » faire « partir ». L’opération ou les médicaments.

Je me souviens que je ne comprenais pas tout. Je me souviens avoir entendu que je devais attendre trois semaines pour l’opération et trois jours pour les médicaments.

J’ai choisi les médicaments dans la hâte de rendre à mon ventre son état initial.

Maman

« Cela ne devrait pas être long, les toilettes sont au bout du couloir sur votre gauche » expliqua cette infirmière dont les cheveux dépassaient de sa calotte.

J’observais Toulouse par la fenêtre. Ma mère passait les mêmes pages d’un vieux magasine féminin qui évoquait les bienfaits d’un régime avant l’été. Les autres s’évaporaient progressivement. Nous attendions depuis près de quatre heures. Mon corps ne tremblait pas. Ma mère m’observait moi, les yeux plein d’amour.

Il va falloir partir

On nous expliqua que quelques fois c’était plus long. On dit à ma mère qu’elle devait rester avec moi jusqu’à « la fin« .

Nous partîmes. Ma mère serra encore le volant et me caressa le front. En pénétrant dans cette belle toulousaine que je louais avec Carine, je sentis un coup de poing dans mon ventre.

Je me précipitais sur le canapé au fond.

J’hurlais tous les gros mots que je connaissais et j’hurlais sur ma mère. Elle n’y était pour rien.

Les contractions serraient mes entrailles, des couteaux poussaient dans mon utérus. Pendant deux heures. Mon corps se tordait de douleur à chaque contraction.

Pardon

Sur les toilettes de ma maison, mon corps expulsa.

Un haricot dans un bain de sang. Les contractions avaient disparu.
Je tirais la chasse, me lavais les mains.

En sortant des toilettes j’enlaçais ma mère pour lui demander pardon.

« Je t’aime ma fille » me répondit-elle en essuyant mes yeux avec son pouce rêche.

Géraldine CaRyev.

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