La brume du lac

Extrait du roman de Géraldine – (Chap 2. Scène 4)

Sur la route qui ramenait Soline dans sa petite maison, elle regardait les platanes. Ils défilaient comme le rouleau perforé d’un orgue de barbarie. Elle avait mal. Elle pensait à son père, à la vie qu’elle avait choisie d’embrasser. Cette vie monotone, cette vie où elle avait renoncé à aimer et être aimée.

Cette vie qui s’accordait sur les échéances d’un prêt immobilier, l’achat de croquettes pour chiens et les disputes pour connaître le prix des courses. Elle s’interrogeait sur l’instant du renoncement. Quand avait-elle accepté de suivre ce que de toujours elle avait fui ? Y avait-il eu une cloche au loin, un son qui avait sonné le départ vers l’au-delà ? 

La route s’enfuyait sous les roues de la Citroën. Le vide s’apprivoisait se dit-elle en descendant de la voiture arrivée sur la placette d’où s’érigeait sa petite bâtisse du 18e siècle. La maison était vide. En pénétrant dans le salon, le regard de son père l’accrocha. Le visage de son père trônait dans un cadre bon marché sur la bibliothèque aux livres mal rangés. Elle baissa les yeux et pleura. Ses larmes pointillaient le sol et son souffle devenait difficile. Elle devait s’évader de sa maison. Immédiatement. Elle regarda une dernière fois son père et quitta la pièce. Il fallait marcher, faire le vide. L’après-midi d’automne avait des airs d’été Indien, elle espérait retrouver son amie Sabrina en allant au lac du village voisin.   

Sabrina volait déjà autour de l’étendue d’eau. Avec son vélo jaune de la marque du Lion elle entreprit de grands gestes en direction de Soline. Elle manqua de passer par-dessus le guidon avant de se ressaisir et d’accélérer le mouvement de pédales pour rejoindre son amie. Sabrina était une grande femme comme Soline, 1m80, de grands cheveux incroyablement blonds qu’elle laissait toujours détachés. Soline ne savait pas ce qu’elle préférait chez Sabrina :  ses yeux bleus, sa chevelure ou son délicieux accent du sud. Sabrina et Soline s’étaient rencontrées quelques mois auparavant au détour de ce même lac. L’amitié de leurs chiennes avait scellé la leur. Les vingt ans qui les séparaient n’avaient jamais eu prise sur leur complicité et leur compréhension mutuelle.  

Sabrina et Soline étaient comme les cordes d’une guitare. Elles vibraient ensemble quand elles se voyaient. Elles s’étaient trouvées et les moments qu’elles partageaient étaient légers et joyeux. Autour de ce lac émeraude Sabrina pédalait et Soline marchait. Le vélo de Sabrina était le compromis fortuit à ses douleurs aux pieds. Le couple d’amies rigolait souvent de la situation, quant à force de parler et de suivre en marchant, Soline manquait d’air. Leurs rires volaient comme les feuilles qui tombaient à la surface de l’eau. Soline ne comprenait pas encore ces rencontres féminines. Elle n’avait pas encore compris que son âme s’apaisait en présence de femmes. Elle n’avait pas encore compris que les yeux bleus de Sabrina, ces yeux si purs étaient de petits cailloux semés sur son chemin de vie. 

Sabrina apportait à Soline l’oxygène dont elle manquait. Ces balades, ces rires et ces instants parfumaient l’existence comme les roses anciennes que l’on a la chance de pouvoir humer une fois dans sa vie. Grâce à ces instants anodins, Soline s’apaisait. Grâce à cette amie, Soline aimait ce qu’elle était, elle apprivoise son corps aussi. Sabrina rieuse lui disait parfois « On est des géantes Soline, les géants c’est gentil mais il faut les atteindre. ». Il y avait dans ses moments de marche, à suivre une grande blonde sur un vieux vélo autant de joie que de rires. C’était peut-être ça la liberté. Juste ça. 

Elles se retrouvèrent tout l’automne et l’hiver qui suivit. L’hiver leurs aventures étaient plus frileuses et leurs pas vacillaient au rythme des mouvements de têtes et des lampes accrochées sur les fronts. Elles étaient les spectres du lac, elles étaient les rires qui résonnaient quand le brouillard humide remontait de la surface comme pour prévenir de l’arrivée d’un monstre. Même dans la nuit leur rencontre éclairait, même dans la nuit leur joie d’être ensemble enveloppait. Deux amies autour d’un lac la nuit donnaient à l’existence la couleur qu’il manque parfois aux histoires en noir et blanc.

Géraldine CaRyev.

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