Extrait du Roman de Géraldine (Chap 3. Scène 3)

Barcelone l’été c’est comme le feu de la Saint-Jean dans un village de campagne. La foule, la chaleur et la couleur rythment l’espace et le temps. L’effervescence, les flammes qui dansent ressemblent aux silhouettes festives qui arpentent le soir les rues de la capitale catalane. Soline avait pour l’Espagne et sa langue une passion réconfortante et qui submerge. À chaque fois que son existence la menait sur la Terre des surréalistes qu’elle aimait tant, elle éprouvait un sentiment d’appartenance. La sensation d’être là où elle devait être. Gabi, lui, détestait la péninsule. Depuis leur arrivée à Barcelone, il était à la recherche de bouteilles d’alcool pour profiter des soirées à venir avec Baptiste et sa compagne sur l’île des Baléares. Le ferry partait pour Minorque ce soir-là à 22H00.
Soline était mélancolique alors qu’elle arpentait les rayons jaunis par les néons d’un supermarché situé en banlieue de la capitale catalane. Elle était à la recherche de breuvages en promotion pour satisfaire les projets de son compagnon. Plus les mois passaient, plus la vie avec Gabi devenait insupportable. Ce soir-là, alors qu’elle marchait dans ce supermarché, l’Espagne réveillait en elle le sentiment d’une vie à vivre, d’une madeleine de Proust oubliée qu’il fallait retrouver. Maintenant. En observant les étiquettes jaunes des promotions qui jonchent le rayon des spiritueux, elle se demandait jusqu’à quand elle pourrait résister. Pour combien de temps encore son âme allait accepter cette vie loin de la vie ? Elle sentait en elle le vent se lever, mais elle sentait aussi le souffle de la peur murmurer derrière son épaule.
Les bouteilles d’alcool étaient quasiment scellées dans le coffre. Gabi avait mis plus d’une demie-heure à réorganiser le rangement du Kangoo – aménagé en Van – pour abriter ses trésors de la lumière et des regards indiscrets. Dans deux heures le bateau démarrait. Sur le parking qui jouxtait le grand bateau monument flottant, ils attendaient tous les deux assis dans la voiture. Le bruit des autres moteurs, restés allumés, pour rafraîchir les habitacles des voitures, aussi en attente, créait avec le CO2 expulsé des pots vrombissants une ambiance de four crématoire. Soline voulait mourir à chaque fois qu’elle toussait. Elle observait ces voitures, elle observait ces gens. Elle partait là où tout le monde va. Elle avait choisi de faire comme les autres… d’aller à la mer. Elle avait pourtant, depuis des mois, nourri le projet de rencontrer le Danemark mais ce soir elle partait pour Minorque.
Soline ne dormit pas un instant pendant la traversée. Un sentiment de renoncement l’envahissait tous les jours davantage. Sur le bateau, bercé par les légers mouvements de la Méditerranée, ce sentiment alourdissait ses pensées déjà trop encombrantes. Alors, depuis l’aube, elle errait sur le pont du grand navire. Gabi dormait dans la petite cabine sans fenêtre plus bas sous le bateau et Soline observait, depuis l’extérieur, la côte se rapprocher inexorablement. Les traînées blanches qui s’étiraient derrière le bateau semblaient guider l’arrivée imminente du ferry. Tout le corps de Soline était fatigué, son esprit dilaté. Alors que ses pensées flottaient littéralement, elle aperçut au loin des plongeurs se jeter depuis un Zodiac. Elle se rappela alors la paix qu’elle avait ressentie un jour en plongeant dans la mer de Corse. L’arrivée du bateau semblait presque éternelle. Les sirènes assourdissantes du bateau sortirent Soline de son coma éveillé.
Cela faisait plus d’heure que Gabi et Soline s’étaient échappés du bateau. Ils roulaient. Minorque était sauvage. Certains complexes hôteliers surgissaient ça et là le long des routes abîmées et des champs aux barrières de pierres. Le paysage semblait indomptable. Cette première journée rythmait l’errance. Ils allaient retrouver le soir leurs futurs compagnons de voyage. En attendant, ils apprivoisaient le décor insulaire de l’île des Baléares. Ils roulèrent ainsi une bonne partie de la journée. Ils devaient aussi trouver un endroit où passer la nuit avec les véhicules. Vers 23H00, Baptise et Joe les rejoignirent sur une aire au sable rouge occupée par d’autres vans. Les présentations faites à la frontale furent joyeuses et légères. Baptiste et Gabi étaient heureux de se retrouver. Soline et Joe échangèrent quelques mots. La veillée ne dura pas, les quatre amis plongeaient le lendemain. La sœur de Baptiste les attendait au centre plongée de Mahon pour 9H00.
Géraldine CaRyev.