À Billie

« Votre dossier a été examiné en commission clinique-biologique et a reçu un avis favorable ».
Extrait du courrier du centre Marseillais de P.M.A
Phrase sententielle, la lettre sur laquelle elle était calligraphiée venait clore un parcours de près de 9 mois.
Un parcours pour simplement accéder à la PMA en couple hétéro en France. Marseille acceptait d’aider mon corps défaillant à enfanter à condition d’être avec un homme.
Mon désir de maternité était plus fort que mon orientation sexuelle.
Je reçus cette lettre laconique presque simultanément au moment où je quittais mon conjoint pour une femme qui me quittera une semaine après. La vie est faite de naissances et de morts. Mais ce n’est pas l’objet de cet écrit. Je voulais me prêter une nouvelle fois à l’exercice de la confidence-témoignage pour raconter les mots (hors des maux) pour détruire, faire fi des pseudo-avis / certitudes du corps médical et de mes sœurs lesbiennes.
Car après ces mois d’errance, il m’en faudra autant pour me reconstruire et devenir la mère que je souhaite être.
Ni hétéro, ni homo avec un père ou sans, avec deux mamans ou une seule. Ce que je sais c’est que ce sera ce que j’ai décidé pour moi et mon enfant. En attendant, je vous propose un flashback sur ces mois d’apprentissage qui m’ont pas mal écorchée.
Le désir d’enfant m’a un jour, devant l’irréversibilité du temps et de ma condition, pris aux tripes.
Je n’y pouvais rien, c’était là et loin d’être intellectualisé.
Pourtant, on enferma rapidement mon désir d’enfant dans des carcans pseudo-analytiques.
Marx, ce fameux anthropologue

« Vouloir un enfant, c’est très capitaliste » !
Cette phrase prononcée par une femme gay autour d’un verre, est sans doute largement inspirée des théories étendues de l’auteur du Capital (The Ethonological Notebooks of Karl Marx, 1974), témoigne de tous les aprioris intellectuels ou sociétaux qui enferment les femmes en désir d’enfant (autant que pour celles qui n’en veulent pas … hein).
Mais… Ces derniers mois, j’ai compris que chaque individu qui opposera à vos choix des affirmations définitives devra être rejeté comme une pelote de chouette.
Le désir d’enfant ne doit pas se discuter, il est viscéral et les femmes, quelles qu’elles soient, quels que soient leurs parcours, doivent être accompagnées et soutenues. sans distinction ni jugement.
Avoir un enfant est en moi comme le fait d’être brune, je ne ressens aucune pression si ce n’est celle d’être la femme que je souhaite être.
Alors je serai (peut-être) mère
Mon parcours PMA a d’abord démarré par une démarche de préservation ovocytaire. J’allais quitter mon conjoint, embrasser une nouvelle vie mais à 36 ans révolus, je ne projetais pas sans être mère.
Sauf que ce que l’on planifie ne se passe jamais comme sur un Gantt. La démarche de préservation révéla un bilan de fertilité effondré et une anomalie génétique (syndrome de l’X-fragile) péjoratifs à toutes conservations.
Lorsqu’on vous révèle la faillibilité de votre corps ainsi, les médecins opacifient votre futur et transforme votre présent en sacrée enclume.
Aucune préservation possible, des chances quasi nulles de tomber enceinte naturellement et un accès à la PMA impossible aux dires de la médecin toulousaine qui m’annonçait froidement mes résultats devant mon visage sidéré.
J’ai décidé de contre-dire la sentence et de partir à la recherche d’une équipe médicale capable de m’aider, non plus à conserver mais à devenir mère. Je n’avais plus le choix. J’ai enchaîné les RDV, les examens.
À force de spéculums dans mon vagin, j’avais l’impression d’être un bout de viande embroché pour le 14 juillet.
Ces rendez-vous ont été douloureux, tortureux et tortueux. Toulouse, ma ville, son corps médical ne voulait pas m’aider.
« Madame vous souhaitiez conserver et maintenant vous voulez un enfant, il faudrait savoir ce que vous voulez ».
— Femme médecin au CHU de Toulouse
Marseille accepta de réévaluer ma situation tant d’un point de vue clinique que génétique.
E-S-P-O-I-R.
Des mois de tests cliniques sur moi et mon conjoint pour arriver à cette fameuse phrase laconique : « Votre dossier a été examiné en commission clinique-biologique et a reçu un avis favorable« .
Mais dès qu’une solution arrive un problème survient. Mon parcours P.M.A aurait pu illustrer les théories de Murphy car très vite certains ont trouvé des objections à mes projets.
Quelle famille pour cet enfant ?
Je voulais un géniteur plus qu’un père, la suite je n’y pensais pas. Je courais après le temps.

J’avais 36 ans et un sacré goût de la péremption au fond de la gorge. Ils étaient loin mes 30 ans et l’insouciance du temps.
Ce sont les autres (certain.e.s) qui vous poussent à penser l’après pour panser avant même l’impact. Je n’étais pas enceinte que l’on m’obligeait à raconter une suite. Entre les couloirs d’examens où j’errais, j’essayais de concevoir des histoires. C’était aussi schizophrénique qu’angoissant.
Pendant près de 9 mois, j’ai enchaîné les prises de sang, les échographies pelviennes, les consultations génétiques, les têtes à têtes avec des gynécologues. Pendant 9 mois, j’ai subi ce que peu supporterait. La France est arriérée, la France nous torture nous femmes infertiles en désir d’enfant et nie nos identités.
Aujourd’hui j’ai stoppé mon parcours pour avancer seule.
La PMA en France, parcours et anecdotes
Je suis infertile, lesbienne et j’aimerais être mère.
Je n’ai plus le choix, je traverserai la frontière.
Le refuge hétéro
En tant que femme gay, j’ai mis longtemps à m’assumer. J’étais en couple hétéro, lorsque l’on m’a annoncé mon infertilité. L’hétérosexualité est encore conditionnelle à l’accès à la P.M.A en France.
La P.M.A est un parcours tout comme accepter le peu de choix qui s’offrent à vous, en France, en tant que femme lesbienne (ou seule). Lorsque j’ai assumé mon infertilité, j’ai finalement (aussi) assumé mon orientation. Ce fut un processus.
Aujourd’hui ma P.M.A en France gît sur mon comptoir en châtaignier à côté des notes d’estimation de ma maison.
Entre quatre yeux, dans les salles d’examens ou en face un médecin.
Un court paragraphe dédié à vous, chères âmes médecins, à vos mots-couteaux.
Décembre 2020, lors d’une hystérosalpingographie
« Alors Madame quand on est enceinte on avorte et maintenant qu’on veut un enfant, on n’y arrive pas ? »
— Radiologue (homme) toulousain avec un spéculum dans mon vagin, décembre 2020
« Il ne faut pas mettre la pression à monsieur, soyez gentille ».
En avril 2021, lors d’un RDV de contrôle au CHU de Toulouse
« Nous ne vous accompagnerons pas en P.M.A à Toulouse. Je ne vous ferai pas d’ordonnance pour ré-évaluer votre fertilité pour l’Espagne, quand le courant ne passe pas, il ne passe pas ».
« Vos résultats ne sont pas meilleurs. Il sont désormais cohérents avec une femme de votre âge ».
— Gynécologue toulousaine, avril 2021
L’empathie n’a pas marqué mon parcours médical. J’ai souvent pleuré au sortir des bureaux aux sols plastifiés. J’ai souvent cherché de l’amour au fond des yeux des visages protégés par des masques chirurgicaux.
J’ai cherché la sororité et l’amour chez ces femmes médecin qui analysaient mon futur selon des barèmes hormonaux. Que nenni.
La solidarité ne se cherche pas, pire elle n’existe pas avec les mots.
Sororité chez les lesbiennes ?
Pas vraiment. Il n’existe pas de finalement de faits établis sur la sororité lesbienne. J’en ai fait la douloureuse expérience. Mon parcours P.M.A a été rendu supportable par l’amour d’une femme qui m’a quittée lorsque j’ai décidé de projeter avec elle une autre forme famille. Cette famille qu’elle avait promis que nous aurions. Les mensonges ne coûtent rien. L’amour est pareil à la sororité : ce n’est pas des mots.
Et j’ai encore en tête cette phrase :
« À 36 ans !? Je connais tellement de filles qui sont restées sur le carreau » !
— Petite amie de mon amie lors d’un déjeuner, novembre 2020
Aujourd’hui que je recommence mon projet P.M.A seule et une chose est certaine, j’essaierai d’apporter mon soutien aux femmes en chemin et à celles arrêtées.
La sororité n’est pas un prérequis de la condition de femme encore moins de celle de femme gay. Elle est une intention personnelle et propre.
Réjouissons-nous, elle existe (quand même).
« Elles étaient toutes brisées et pourtant incassables. Elles existaient ensemble comme un tout solidaire, un orchestre puissant, les organes noués en ordre aléatoire, un grand corps frémissant. Et j’étais l’une d’entre elles ».
Delorme, W., Viendra le temps du feu, 2021
Famille en branle et sans branlette
Ces mois durant je me suis interrogée sur la F-A-M-I-L-L-E. Ce modèle judéo-chrétien qu’on brandit sans cesse au nez des femmes aux corps mal formés. Celles que j’ appelle désormais les vacillantes.
Elles tremblent, mais elles ont le mérite de projeter tout un tas d’ombres chinoises sur les murs que les normo-pensants préféraient blancs et lisses.
Modèles croisés à enlacer
Avec la PMA et son interdiction française, notamment pour les femmes seules et les femmes lesbiennes, tout un tas de modèles de famille ont vu le jour dans notre pays au vu et au su des potos de Frigide Barjot. On parle de coparentalité entre couples homos et même hétéros. Des familles se recomposent et se créent.
« À l’inverse des années 70, où les féministes dénoncent violemment l’utilisation de la maternité pour expliquer la subordination féminine (Knibiehler, 1997), les années 90 correspondent à une forte valorisation de la position maternelle, y compris par certaines féministes (Blaise, 1989, Gilligan, 1986, Irigaray, 1990) »
— Ferrand, M., 2004
« L’existence de « réseaux familiaux » associés à d’autres types de construction familiale (les familles homoparentales, l’insémination artificielle avec don de sperme ou d’ovocyte, les procréations médicalement assistées, les familles adoptives, la gestation pour autrui) font apparaître une foule de « parents » plus ou moins incarnés dans la réalité, mais dont l’existence fait sens pour l’enfant ».
— Hefez, S., 2011
Ces coparentalités s’intègrent à priori dans ce mot fourre-tout très hétéropensant de la famille recomposée. Selon l’Insee (2021) ces familles puzzle représentent aujourd’hui 10% des familles françaises.
Dans ce cas, pourquoi le choix de la maternité ne serait pas alors une forme de contre-culture ?
Dans son super article, « Parentalité queer, mères solos… Cinq histoires où les familles en marge sont à la page » , Delente évoque pour Télérama le roman d’Evaristo (Fille, femme autre). Dans ce roman de nouvelles, le personnage d’Amma parle de sa maternité « comme de son expérience de contre-culture parmi toutes ».
Ce qui est différent contrecarre la « moyenne molle » de Faye, à laquelle pour ma part, je n’appartiendrai jamais.
Et la famille monoparentale ?
On l’oublie souvent, elle, et pourtant c’est dans cette case que je serai sans doute classée (un jour) par les statisticiens de l’Insee. J’espère d’ailleurs pouvoir interviewer pour ce Blog plusieurs ami.e.s et femmes de mon entourage qui ont choisi de faire un enfant seule.
Qu’elle soit choisie ou subie, la famille avec un seul parent existe et persiste.
De nombreux groupes et témoignages sont présents sur la Toile pour accompagner et donner la voix à ces solos.
J’ai rejoint depuis peu, et sur les conseils d’une amie qui a entamé un parcours seule en Espagne, le groupe « Mam’ensolo ». C’est un groupe privé Facebook où l’hétérogénéité des expériences, des échecs et des réussites permet une représentativité telle qu’elle rassure et entraîne même. En écoutant on peut s’identifier et s’aventurer soi-même.
Allez vous faire foutre
Merci.
Je terminerai cet article en insistant sur le fait qu’il n’y a de modèle que ses propres projections et en insistant sur le fait que la peur des autres ne doit pas nourrir les vôtres.
« Et surtout, ne tournons pas sur nous-mêmes,
Courbés sous le vil joug par la peur,
Car les rêves, le désir et l’action
Néanmoins nous demeurent« .
— Karl Marx (aussi poète émérite, au sujet des peureu.x.ses.).
Ce qui n’a pas encore été créé ne peut être modélisé.
Ces neufs fois auront été un chemin de croix en même temps qu’un vrai travail d’investigation et de recherche sur la P.M.A et ses spécificités françaises.
Cet article confidence m’appartient et chaque chemin est unique. Témoigner libère et renforce. Si je ne peux toucher ne serait-ce qu’une seule femme avec mes mots, j’aurais déjà gagné.
Aimer est le socle d’une famille, il n’y a pas d’objection à l’amour seulement des mots.
Car il en faut des mots (courageux) pour affronter des dizaines de spéculums, des verbes acerbes, des “où est Monsieur ? » en 2021.
La famille que je projette ne ressemble pas à ces vieux portraits poussiéreux que l’on voit parfois orner les cheminées ou les murs jaunis. Elle sera singulière, unique comme l’a été mon chemin jusqu’à lors. J’en suis fière.
« Les nouvelles formes de parenté, celles qui sont configurées par les techniques de procréation médicalement assistées, celles qui découlent des diverses séparations et recompositions, celles qui instaurent des foyers homoparentaux ou monoparentaux, ne dressent à ce titre aucune « nouveauté » quant à leur possibilité d’établir une filiation, c’est-à-dire de permettre à cette adoption d’advenir ».
— Hefez, S., 2011
Enfin, j’ai été un peu acerbe sur le corps médical, certains médecins comme les Dr. Colombani, les Dr. Gardes, Dr. Langeois méritent d’être nommés pour leur empathie.
La médecine ne connaît pas que des procureurs au désir d’enfant.

Rideau
There’s a story that I want you to hear
Okay?
It’s about a woman
Who woke up one day
And realized that
Her life was
A mirage
An illusion
A comfortable dream
Winding the horrible nightmare
But she constantly had night after night
She lived in a skeletal world
No substance at all
Quickly came crumbling down around her
She hit rockbottom
And after she hit rockbottom
She pulled herself out of it
She was able to take back her destiny
She had to die
Before she could live
This is my story
The trauma that you experienced
Will forever define you
But you’re not alone
We’re here for you
And there’s so many others just like you
And it’s time that we take a stand
And make a change and break their system
Do you understand?
What I’m saying?
Géraldine CaRyev.
Inspirations
Des mots
Bianco, E., Senigout, E. 2021. Près d’une famille sur dix est recomposée. Insee.
https://www.insee.fr/fr/statistiques/4284613
Blaise, S. 1989. Le rapt des origines ou le meurtre de la mère, édité par l’auteure.
Castellain-Meunier, C. 2002. La place des hommes et les métamorphoses de la famille, Paris, PUF.
Delente, C. 2021. Parentalité queer, mères solos… Cinq histoires où les familles en marge sont à la page. Télérama.
Ferrand, M. 2005. Égaux face à la parentalité : Les résistances des hommes… et les réticences des femmes. https://doi.org/10.3917/amx.037.0071
Gilligan ,C. 1986. Une si grande différence, Paris, Flammarion.
Green, B., Zobel, A. 2021. «Mes deux mamans». Talents hauts.
Hefez, S. 2011. La famille à l’épreuve de la coparentalité. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 2(2), 53-68. https://doi.org/10.3917/ctf.047.0053
Lauriane. 2021. #59 – Communauté, cœur brisé, sororité, Lebienraisonnable
https://lesbienraisonnable.com/index.php/2021/04/06/59-communaute-coeur-brise-sororite/
Marx K. 2014. Poésies, Montreuil, Édition L’Insomniaque, trad. Hélène Fleury, Evelyne et Geneviève Lohr.
Des images
mespepinsderaisins : https://www.instagram.com/mespepinsderaisins/
Un merveilleux compte Instagram de Chloé, un œil vivace sur la parentalité et sur l’amour.
chagdeslutins : https://www.instagram.com/chagdeslutins/
Directrice d’école, des mots et des photos autour de ses choix de vie. Un plaisir à lire. Toujours.
charlie_et_ses_droles_2_mamans : https://www.instagram.com/charlie_et_ses_droles_2_mams/
Un compte Instagram qui depuis a été rejoint par deux jumeaux.
Des sons
Les enfants vont bien : homoparentalité et autres schémas familiaux : https://www.podcastics.com/podcast/les-enfants-vont-bien/
Le podcast qui donne la paroles aux familles « extra-ordinaires » : homoparentales, monoparentales et adoptantes.