Panse-moi et Pense moins

Extrait du Roman de Géraldine (Chap 4. Scène 5) 

Sept jours et six nuits s’étaient passés depuis le film de Sciamma. Insomnie, anorexie en avaient profité pour visiter Soline. Dans ses draps, la tête enfouie pour oublier, ses démons dansaient. Ils se faufilaient lentement glissant le long de son corps pour cintrer sa résilience et ligoter ses rêves. Comme l’ombre sous l’armoire qui empêche les enfants de dormir, l’esprit de Soline l’empêchait d’oublier. Ces démons ne croupiraient jamais. Tapis dans l’ombre de l’âme, ils attendent le moment propice pour se rappeler à l’existence de celles qui ont justement eu un jour faim à l’âme.

Depuis une semaine comme en réalité depuis sa descente du ferry, Soline essayait pourtant de déplacer ses pensées. Il fallait se concentrer sur les promesses du présent. Cette semaine justement, elle débutait une formation universitaire dans une école d’ingénieurs sur la côte Basque. Pulsion épistémologique contre vilain désir. 

Deux femmes enlacées

Personne n’avait touché le corps de Soline depuis plus de trois ans. Personne ne l’avait étreint depuis près de 1095 jours. Depuis qu’ils étaient arrivés dans la maison qui scellerait la mort de leur couple, Gabi dormait à côté d’un autre corps. Juste un corps. C’était pourtant ce corps qui se rappelait violemment à elle depuis deux mois. C’était aussi ce corps qui avait tremblé devant le film de Sciamma.

Que pouvait-elle y faire pour l’instant ?  Reprendre des études, rencontrer d’autres personnes lui permettraient peut-être d’occuper son esprit pour oublier ce vilain désir. Elle l’espérait autant qu’elle le pouvait. De toute façon, elle n’en avait plus le souvenir. Elle se rappelait parfois des images lointaines de corps abandonnés et de cœurs qui s’accélèrent. Peut-être était-ce cela ou peut-être que non ?

Sur les bancs de ce grand amphithéâtre, elle grattait des mots sur des feuilles d’écolier. Elle était soulagée de proposer à son esprit et ses pensées un autre point de chute. Un changement de focale pour regarder plus loin ou simplement ailleurs. Elle pensait pourtant souvent à Laure en observant les présentations projetées sur le vieil écran jauni. Laure n’était pas qu’une pilule d’amnésie. Elle était aussi un réveil. Elle avait réellement vibré en l’embrassant. Soline pensa à ce baiser partagé dans la librairie. Une vague de frissons lui traversa le bras. Depuis son intrusion chevaleresque dans cette librairie du centre ville, les deux femmes ne s’étaient pas revues. Elles avaient rendez-vous dans quelques jours.  

Devant la machine à café du couloir du bâtiment que Soline nommait la « fabrique à ingénieurs », elle fit la connaissance de Malo. Une jolie brune pleine d’entrain et d’humour. Une de ces femmes dont le sourire contagieux force ceux qui cachent leurs dents à les montrer quand-même. Quelques minutes, quelques mots avaient fait naître entre les deux femmes une complicité qui deviendrait au fil des mois les racines d’une amitié sincère. En ce mois d’octobre ou la pluie d’automne tapait sur les vitres, Soline ne se doutait pas qu’au printemps suivant Malo serait là. Elle ne pouvait imaginer que Malo l’aiderait un jour de confinement à traverser la frontière pour rejoindre l’amour ou se perdre plus loin.  

Elle avait rejoint Toulouse le vendredi soir. La semaine de cours, les rencontres, Malo lui avaient permis de penser au présent. C’était précieux se disait-elle chevauchant son amant roulant. Dans quelques heures, elle avait rendez-vous avec Laure. Elle portait pour l’occasion son veston bleu. Elle trouvait qu’il apportait de la lumière et égayait son visage que certains jugeaient parfois sévère. Au-dessus de son ventre, une petite boule était apparue. Ce n’était pas de l’angoisse, peut-être de l’appréhension. Le trac… de revoir Laure ou de son désir. C’était plaisant. Elle retrouverait Laure à l’endroit de leur premier rendez-vous, il y a plus d’un an.  

Soline attendait devant l’entrée du bar de la rue des Lois. Laure n’était pas encore là. Soline observait les silhouettes passantes. Elle pensait aux cigarettes qu’elle avait tant aimées. Ces dompteuses du temps trop long, ces amies silencieuses qui remplissent l’âme comme les poumons ou l’inverse. Elle détestait les attentes. Son esprit les adorait. Une main se posa sur son épaule. Laure. Sans dire un mot, Soline se retourna et s’approcha de la jeune libraire. Elle enfouit son visage dans le creux du cou de l’attendue. Elle s’enivra de l’odeur de sa peau. Elle était restée en elle depuis la librairie. Elles s’embrassèrent. Doucement. L’attente se termina. Au bas de son ventre, Soline sentait son désir grandir à mesure qu’elle offrait ses lèvres. Elles n’entrèrent pas dans le bar. Laure prit Soline par la main et l’entraîna vers la place du capitole. Elles couraient, leurs mains désormais serrées, en remontant la rue Saint-Rome et en direction des Carmes.  

Laure habitait un joli deux pièces à deux pas de la place des Carmes. Rue des Prêtres. Quelle ironie des lieux… cette rue, cette place qui avait un jour abrité un couvent carmélite accueillerait ce soir l’amour pour lequel on exécute encore sur cette Terre. À peine la grande porte de l’immeuble poussée, leurs deux corps s’engluèrent à nouveau. Soline et Laure ne parvenaient pas à arrêter leur baiser commencé un peu plus loin, rue des Lois. Les souffles saccadés et les gémissements discrets rythmaient l’ascension laborieuse des corps presque siamois jusqu’au 4ème et dernier étage. La chambre se trouvait en face de la porte d’entrée. En quelques secondes, le paillasson intérieur s’empara de de leurs vêtements. Dans cet appartement sous les toits, Soline retrouva celui qu’elle croyait mort. Désir. Vilain désir. Il était bien là sous ce corps transpirant, rappelé à la vie par la bouche d’une longue dame brune murmurant à son sexe. Elle mordit ses lèvres pour retenir son cri.

Photo N&B de deux corps pexels

Géraldine CaRyev.

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