Diglee – Je serai le feu

Anthologie de la poésie féminine

Couverture de Je serai le feu - Diglee

« Je ne vous ai jamais vu, jamais parlé. Peut-être avez-vous entendu parlé de moi, peut-être pas… Mais dans tous les cas, je ne vous connais pas. Peut-être que j’aimerais vous connaître ! Nous pourrions devenir des amis fusionnels, avoir des débats passionnés, échanger nos pensées les plus intimes jusqu’au petit matin ! Ou pas. On pourrait tout aussi bien ne rien avoir à se dire… Ce n’est pas que vous ou moi soyons inintéressant.e.s ou inintéressé.e.s. Juste… ça pourrait bien ne pas le faire. En amour comme en amitié il est des coups de foudre, et des climats anodins.  
Non, nous ne nous sommes pas rencontré.e.s sur Tinder, et vous n’avez pas attendu mes petites bulles bleues des mois durant… Seulement, je m’appelle Diglee, et j’expose ma version de la poésie féminine à vos yeux. »

Maureen Wingrove alias Diglee
Copyright Alumni.cohl.fr

La subjectivité

Il y a une démarche indécemment intime à cette anthologie, fruit d’années de quête de l’émotion et de la beauté. 

Seul l’art permet ce partage entre parfaits inconnus.  Et l’art, Diglee connaît. Maureen Wingrove de son vrai nom, illustratrice et autrice de bandes dessinées et de romans, partage volontiers sur son blog et ses réseaux sociaux ce qui la touche en tant que femme (je ne rajoute pas “féministe” car je n’aime pas les pléonasmes).  

Passionnée de poésie depuis l’enfance, elle se rend compte que tous ses repères et références en la matière sont masculins. Elle se lance donc en quête de ces femmes qui font de la poésie, avec une idée en tête pour citer sa préface : 

« Ce livre existe pour rappeler que oui, les femmes écrivent de la poésie (et que non elles n’écrivent pas une poésie « de femmes » uniforme et mièvre), mais surtout pour célébrer la poésie en tant que telle. (…) Et faire peau neuve à ce vieux cliché qui voudrait que la poésie soit un genre littéraire réservé aux bancs de l’école ou pire, à une élite ».

Elle réunit donc 50 poétesses des 19e, 20e  et 21e siècles qu’elle classe en différentes catégories : les filles de la Lune, les prédatrices (mes préférées…), les mélancoliques, les insoumises, les alchimistes du verbe, etc.  

Tout est volontairement subjectif dans son recueil, que ce soit les récits choisis, ou même les biographies des poétesses qu’elle tisse au fil de soi. 

Chaque sélection de vers est précédée d’une à trois pages racontant en peu de mots ce qui pourrait nourrir des volumes, tant la vie de ces femmes est dense, intense, exaltée. 

En toute sincérité, quand j’ai acheté son ouvrage, je ne pensais pas vraiment lire ces biographies d’ailleurs… Les œuvres m’intéressant, les artistes beaucoup moins. Mais j’ai tout de même entamée la première avec respect, puis la seconde avec curiosité, la troisième avec entrain, la quatrième avec passion, et toutes les suivantes avec la conviction que je n’aurais jamais compris leurs mots sans cette présentation succincte de leurs vies, leurs combats, leur entourage et dois-je le dire, de leur sexualité.  

Car la sexualité féminine aussi est mise à l’honneur, sans fausse pudeur ni complaisance. Qu’elle soit choisie, simulée ou forcée – hétéro, bi ou lesbienne – assumée ou dissimulée – elle est présente au cœur de cet ouvrage comme elle l’est dans la vie : parfois brutale, parfois libératrice ou enivrante, mais toujours inspirante.

Le combat

Photo de Rosemonde GERARD
Rosemond Gérard

On a coutume de dire que « derrière chaque grand homme se cache une grande femme ». Insupportable pronomination.  

Je préfère penser que « chaque grand homme cache une grande femme ».

Inconsciemment souvent… La sagesse populaire tend à laisser croire qu’une grande femme souhaiterait se cacher derrière son homme. On voit bien dans cette anthologie que ce n’est pas ainsi. Publiées, reconnues, désirées, encensées de leur vivant, ces poétesses tombent presque toutes dans l’inconscient collectif de la richesse et du talent féminins. Sacrifiées sur l’autel de la toute-puissance masculine littéraire. 

Ainsi, j’ai peut-être lu trente fois Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, ayant fait de ces vers ma canne blanche, ma veilleuse la nuit. Quelle stupéfaction pour moi de découvrir dans cette anthologie qu’il était marié avec une prénommée Rosemonde Gérard, que chacun de vous connait pour au moins un de ses vers.

Et comme chaque jour je t’aime davantage,
Aujourd’hui plus qu’hier et moins que demain.

J’ai par la suite acheté deux de ses ouvrages, (pas évidents à trouver car beaucoup ne sont plus publiés) et ai découvert qu’elle n’avait nul talent à envier à son illustre mari, tant ses mots se lient naturellement, intelligemment, harmonieusement.

Elle n’est cependant pas la seule à être connue seulement comme « la femme de », ou « la Muse de ». Il est à noter d’ailleurs qu’il n’y a pas de masculin de Muse. Ce qui s’en rapprocherait le plus serait sans doute Pygmalion.
Alors cela doit-il être ainsi ? La femme inspire, quand l’homme instruit et façonne. Elle n’a pas de puissance créatrice linguistiquement. Le langage n’est pas une science exacte, la poésie non plus certes… Mais sans traité ni démonstration, cette anthologie démontre qu’en plus de sa prédisposition à instiller la sensibilité et l’irrationnel, la Femme a aussi la capacité parfaite à la retranscrire.

L’Embrasement 

Certes, l’ouvrage peut paraître cher. Mais derrière sa couverture rose pâle tissée, et cette flamme dorée se révèle en premier lieu un très bel objet, celui que l’on distingue de suite dans une bibliothèque.  

Vous savez, celui vers lequel la main se tend inconsciemment, et votre pulpe se souviendra du toucher de cette reliure, empreinte sous la peau avant de se sceller sur le cœur.

Ensuite, évident comme une harpe au milieu d’un quatuor, un travail colossal de documentation, d’imprégnation voire même de transfiguration de ces poétesses. 

J’imagine aisément les années de recueil et les piles d’ouvrages annotés, les calepins griffonnés, à lire et relire afin de sélectionner l’ambroisie de ce buffet divin.

Deux femmes près d'un feu

Un voyage passionnant également au creux de librairies parisiennes ou londoniennes, des rencontres avec les maîtres des lieux, de ceux dont les pores de la peau semblent transsuder de minuscules caractères d’imprimerie tant leur âme est emplie de pages reliées. La plume est douce, amoureuse, parfois aussi justicière et certainement engagée. 

Diglee y révèle savamment son amour pour l’œuvre de ces femmes, parfaitement illustrée, le plus souvent de dessins monochromes auxquels se mêlent parfois une touche d’or, esquisses d’une réalité bien plus tangible que n’importe quelle photo.

Enfin, le plus beau compliment que je puisse faire à ce recueil, c’est le plus horrible défaut que j’aurais pu trouver à n’importe quel autre ouvrage. 

Il m’a laissé insatisfaite, sur ma faim, frustrée. Non pas qu’il ne soit pas complet, mais j’ai cherché à me procurer d’autres ouvrages, encore et encore, afin de continuer mon aventure au bras de ces magiciennes. Et quand un livre en appelle d’autres, il devient messager.

Merci donc à Diglee, héros de la sororité poétique, pour ce merveilleux partage, sa passion et sa ferveur des mots. 

De ces livres à lire et relire, d’un trait ou par infusion !

Audrey Camus.

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