
J’habite à Marseille. J’ai 31 ans. J’aime me penser écrivain mais dans la vraie vie, je suis chômeuse.
J’habite à Marseille. J’ai 31 ans. J’aime me penser écrivain mais dans la vraie vie, je suis chômeuse. Mes parents votent FN. Mes grands-parents votent FN. Mes oncles et tantes votent FN. Même mes petits-cousins votent FN. Bref, dans ma famille, on vote FN. Si je n’appartenais pas à cette famille, on pourrait croire à un gène du vote extrémiste, se transmettant de génération en génération. Fatale destinée. Heureusement, ça n’est pas le cas. Nous vivons dans un pays où chacun est libre de ses idées et de ses votes.
Pourtant nous n’en sommes pas si loin. Dans ma famille, on appartient à ce qu’on appelle la classe moyenne. Ceux qui ont travaillé toute leur vie pour s’offrir le luxe d’une maison en banlieue.
Ceux qui à 70 ans habitent un trois-pièces avec vue sur tours et graphs dans l’ascenseur. Ceux qui ont pris un crédit sur dix ans pour s’offrir une belle voiture. Ceux qui ont arrêté la fac pour gagner leur vie derrière une caisse de supermarché. Je suis née dans une ville cotée de la banlieue Ouest de Paris. Assez vite, pour accéder à leur rêve de propriété, mes parents ont déménagé dans une autre banlieue. Toujours à l’Ouest, un peu moins cotée. J’ai grandi aux Mureaux. Les Mureaux, c’est cette ville sur laquelle enquête Zone Interdite en 2012. Ça s’appelait : « Quartiers sensibles : les nouveaux ghettos ». J’étais en CM2 quand je me suis faite agresser dans les couloirs de l’école. Mes parents m’ont inscrite en privé. Adolescente, je suis peu sortie. Quand on habite une banlieue dortoir, une fois la médiathèque fermée, côté sorties et culture à part le Mc Do et le bar PMU on est limité. J’ai étudié. Ensuite, je suis partie. J’ai poursuivi mes études ailleurs, loin de Paris et sa banlieue. Aujourd’hui, quand on me demande d’où je viens, je réponds « Paris ! » En réalité, je n’ai vu la capitale jusqu’à mes 18 ans qu’au travers les vitres de la Renault 21 que conduisait mon père sur le périph’. Je connais mieux le Carrefour de Champs-sur-Marne que le métro parisien.
Finalement, je me suis posée là : à Marseille.
Ville de la mixité. Capitale de la pauvreté. Ici comme ailleurs, les résultats des votes de dimanche rassurent (2015, élections législatives). Marion Maréchal-Le Pen n’est pas arrivée en tête du scrutin. Moi, comme à chacune des dernières élections, je ressens une tristesse atterrée. Parce qu’au premier comme au second tour, ma famille a voté FN. Parce qu’une partie de plus en plus nombreuse de la population a voté FN. Je suis intimement triste parce que ces votes traduisent un mal-être qui s’étend, en France, en Europe, et que si je les déplore, d’une certaine manière je les comprends. Je suis immensément triste parce que nos élites ont le courage d’une moule quand il s’agit d’affronter leur message. Mais ce qui me met en colère, ce qui me fait crier comme un petit roquet devant ma télé, c’est la réponse qui leur est adressée.
On reproche aujourd’hui à des gens de voter. Gentiment, certes, parce qu’il ne faudrait pas les braquer plus encore. Mais fermement. Au nom des valeurs républicaines. Où est-elle la République, quand il s’agit d’assurer l’égalité et la fraternité dans les banlieues, leurs écoles et leurs cités ? Ils pourraient descendre dans la rue ma famille, ils pourraient rugir, foutre le feu et mettre dehors ces décideurs qui impactent leurs vies quotidiennes autant que des pucerons borgnes et sans ailes. Mais ils considèrent encore les élections comme un moyen d’expression. Ils votent.

Seulement ces votes ne sont plus seulement la manifestation d’un ras-le-bol du politique. Ma famille adhère désormais aux idées du FN. Ma famille n’en peut plus du vivre ensemble et des immigrés. Et si on arrêtait de les accueillir les immigrés ? Et si on karchérisait les cités, tout rentrerait dans l’ordre, non ? Finie l’insécurité. Finis les barbus et les femmes voilées. Finie la violence dans les écoles et les banquettes du train taguées et déchirées.
Seulement ces votes ne sont plus seulement la manifestation d’un ras-le-bol du politique. Ma famille adhère désormais aux idées du FN. Ma famille n’en peut plus du vivre ensemble et des immigrés. Et si on arrêtait de les accueillir les immigrés ? Et si on karcherisait les cités, tout rentrerait dans l’ordre, non ? Finie l’insécurité. Finis les barbus et les femmes voilées. Finie la violence dans les écoles et les banquettes du train taguées et déchirées.
Le maire FN du Pontet a augmenté de 44 % ses indemnités à son arrivée. A Hénin-Beaumont on a publié un arrêté anti-mendicité et interdit l’accès au marché de Noël au Secours Populaire. La députée Marion Maréchal-Le Pen souhaite le déremboursement partiel de l’IVG.
Les actions du FN ne changeront rien au résultat des politiques d’abandon des banlieues qui perdurent depuis des années, ni au fossé de plus en plus béant creusé par nos élites entre nous et elles.
Nous sommes dans un pays libre, pourtant pourquoi suis-je une exception dans ma famille ? Pourquoi faut-il que mes parents aient sacrifié 25 années de leur quotidien pour m’extraire de mon milieu ? Pourquoi faut-il que j’aie un bac +7 et trois masters pour que la feuille que j’ai glissée dans l’enveloppe dimanche dernier ne porte pas de flamme tricolore ? Pourquoi mes parents ont-ils l’impression que voter Le Pen est la seule alternative, quand bien même une dizaine d’autres choix leur a été offert ?
Pour conclure, voici un extrait du discours que tint Victor Hugo devant l’assemblée en 1849. Il s’intitule « Détruire la misère ».

Détruire la misère ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse […] Je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière ; que je m’en sens, moi qui parle, complice et solidaire […]
Vous venez avec le concours de la garde nationale, de l’armée et de toutes les forces vives du pays, vous venez de raffermir l’Etat ébranlé encore une fois. […] Vous n’avez rien fait tant que le peuple souffre. Vous n’avez rien fait tant qu’il y a au-dessous de vous une partie du peuple qui désespère. […] Vous n’avez rien fait, rien fait, tant que dans cette œuvre de destruction et de ténèbres, qui se continue souterrainement, l’homme méchant a pour collaborateur fatal l’homme malheureux.
« Démocratie » signifie que le pouvoir est entre les mains du peuple.
Chronique sur le monde
Bel Cyna. « On vote Front National », décembre 2015, Le Monde.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2015/12/16/on-vote-front-national_4833204_3232.html